01 février 2013

Le dernier amour de Raymond Radiguet


Pierre Barillet. Bronia, dernier amour de Raymond Radiguet. Un entretien avec Bronia Clair. Ed. La tour verte, coll. Etats d'âme, Grandvilliers, 2012.



Bronia Clair était âgée de quatre-vingt dix ans quand elle se confia à Pierre Barrillet en 1996.

Elle a 15 ans et demi quand elle arrive à Paris, accompagnée de sa sœur Tylia, en février 1922.


Bronia et Tylia Perlmutter, vers 1922-1924

Elle s’appelle encore Bronia Perlmutter, ne parle pas bien le français mais parvient à se faire une place dans la bohème de Montparnasse. Mannequin pour Paul Poiret, modèle de Kisling notamment, de Bronia Perlmutter on connaît surtout une photo où elle se tient à côté de Marcel Duchamp, sur la scène du théâtre des Champs-Elysées le 31 décembre 1924.


Marcel Duchamp et Bronia Perlmutter, 31 décembre 1924 - Man Ray



René Clair

Ce qu'on sait moins, c'est qu'avant d'épouser le cinéaste René Clair en 1926, Bronia Perlmutter fit une « éblouissante » rencontre en 1923 : celle de Raymond Radiguet. Elle n'a pas encore dix-sept ans. Dès le lendemain de cette rencontre au bal Bullier,



Bal Bullier

Bronia Perlmutter retrouvera Radiguet au Bœuf sur le toit… La liaison sera courte mais intense.

Plus de soixante-dix ans de silence n’auront rien effacé.

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– … 1923. c’est bien un an après ton arrivée à Paris que se situe ta rencontre avec Radiguet ?

– Oui, fin mars. Tristan Tzara habitait comme nous l’hôtel des Écoles, une petite chambre au-dessus de la nôtre. (…) Dans l’escalier, je croise Tristan qui me demande : « Qu’est-ce que tu fais ce soir ? » Je lui réponds : Rien. Je suis toute seule… » « Pourquoi tu ne viens pas avec moi ? Je vais faire un tour à Bullier ! » (…) À peine étions-nous installés qu’un tout jeune homme avec les yeux en amande, un peu asiatiques, un magnifique regard de myope ombragé de cils épais, silhouette élégante, habillé avec une certaine recherche, vient saluer Tzara qui me le présente : « Raymond Radiguet ».

– Ça été le coup de foudre ?

– L’éblouissement, plutôt. Oui, j’ai été éblouie… Radiguet était la vedette du jour. Au Dôme, on ne parlait que de lui (…)

[…]

– Qu’est-ce que tu as aimé le plus en Radiguet ?

– Mon premier amour.

– Et qu’est-ce qui t’a décidé à en parler enfin, après soixante-dix ans de silence ?

– L’envie de le faire revivre une dernière fois. Et la surprise de le retrouver toujours aussi vivant, après avoir vainement essayé d’en effacer le souvenir…

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D’urgence, il faut lire ce témoignage qui a traversé le temps et qui nous parvient de justesse – on l’apprendra en lisant la note de Pierre Barillet en fin de volume. La dernière réponse du témoignage vif, intact et on ne peut plus touchant de Bronia Perlmutter est comme un écho de la fameuse phrase de Jules Michelet (qui pourrait être la justification de l’existence du blog cacodylate et de ce qu’il est appelé à devenir) :

« Oui, chaque mort laisse un petit bien, sa mémoire, et demande qu'on la soigne. [...] L’histoire accueille et renouvelle ces gloires déshéritées ; elle donne vie à ces morts, les ressuscite. Sa justice associe ainsi ceux qui n’ont pas vécu en même temps, fait réparation à plusieurs qui n'avaient paru qu’un moment pour disparaître. Ils vivent maintenant avec nous qui nous sentons leurs parents, leurs amis. Ainsi se fait une famille, une cité commune entre les vivants et les morts. »




Bronia Perlmutter par Berenice Abbott vers 1925