03 février 2013

Clément Pansaers à Jean Crotti et Suzanne Duchamp


© Jean Crotti papers, 1913-1973, bulk 1913-1961.
Archives of American Art, Smithsonian Institution

Dépositaire d’un fonds Crotti particulièrement riche, les Archives of American Art, Smithsonian Institution, proposent la consultation en ligne d’un nombre considérable de documents numérisés. On pense à ce que pourraient proposer, sur le même mode, les Bibliothèques Kandinski et Jacques Doucet, pour ne citer qu’elles…


De ce fonds, je propose ici la retranscription d’une lettre, sans doute inédite, de Clément Pansaers à Jean Crotti et Suzanne (Duchamp) Crotti. Écrite en mai 1922, cette lettre dit assez la détresse et la misère du poète.

Bronia Perlmutter : « Notre seul souci c’était de savoir comment trouver de l’argent pour se nourrir et payer son loyer ! (…) le problème était quotidien et tournait jusqu’à l’obsession, pour presque tous les artistes. Non, la vie à Montparnasse, ce n’était pas cette fête perpétuelle à laquelle veulent nous faire croire les livres qu’on publie aujourd’hui sur les Années folles ! » [Pierre Barillet. Bronia, dernier amour de Raymond Radiguet. Un entretien avec Bronia Clair. Ed. La tour verte, coll. Etats d'âme, Grandvilliers, 2012.]

Clément Pansaers : « (…) car mon bilan se dresse ainsi : plus de domicile en sortant de l’hôpital, plus un sou, plus d’emploi – et piètre santé. »

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Voici :

C. Pansaers
Hôpital de la Charité
(Salle Royer n° 29)
Rue Jacob
Paris, le 31/5– 22




Chère Madame
Cher Ami


J’ai tardé de vous écrire et de vous remercier, mon cher Crotti, plutôt parce que je n’avais pas de timbre, que par négligence !
Mon vis-à-vis, un Russe sentimental et triste comme moi, par intuition peut-être, vient de me faire cadeau de quelques “Semeuses”.
Mon état général semble s’améliorer. La radiothérapie me fait du bien – cependant qu’écrire une lettre me met dans un état de chaleur [1 mot illisible] insupportable –
Et je suis fatigué après avoir fait cent pas.
La plaie (suite de l’opération à l’aine, ne s’est pas encore cicatrisée – Et voilà 3 semaines.
Je compte aller à la campagne aussitôt que je vais mieux par l’aide (de) l’œuvre du retour à la terre qui procure des emplois à la campagne – car mon bilan se dresse ainsi : plus de domicile en sortant de l’hôpital, plus un sou, plus d’emploi – et piètre santé.
Ma femme vient de s’engager femme de chambre et mon fils est en pension chez des Sœurs.
Je suis très démoralisé – mais je fais des efforts pour me remettre dans un état actif !
Et j’espère.
Je compte écrire un petit ouvrage et vous le dédier – [St Jole] [ ?]
Je viens de relire De profundis de Wilde. [1 mot illisible] je l’ai trouvé [banal] [ ?] – l’atmosphère de l’hôpital est prison, abattoir, bagne, tout réuni – lugubre ! –
On zigouille les individus – plutôt de les guérir, au profit de la science –
L’opération que j’ai subie est aussi un peu cela, car j’attends vainement les résultats et le traitement en conséquence –
Enfin voilà – tout cela est bien triste ! –
Je vous souhaite une bonne santé ! –

Et au plaisir de recevoir de vos nouvelles ou de vous voir, agréez, mes chers amis, mes salutations bien cordiales.


C. Pansaers


[Jean Crotti papers. Archives of American Art, Smithsonian Institution.



Series 2 : Correspondence, 1916-1961 (Box 1 ; Folder 33)]




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Pour information, "Novénaire de l'attente" (paru pour la première fois en volume aux Editions du Chemin de Fer) est toujours disponible ici.