25 août 2009

"Dada ?" par Renée Dunan

Livrenblog et L'Alamblog ont évoqué et reproduit plusieurs documents de et sur Renée Dunan, auteur dont l'identité reste encore floue et dont les contributions à des périodiques sont devenues rares. Après "Assassinons l'intelligence et l'esthétique si nous voulons comprendre la beauté" (La Vie Nouvelle, N° 1, Décembre 1920, pp. 17-20), on retrouve Renée Dunan historien(ne) de Dada dans la revue anversoise Ça Ira !, avec un article sobrement intitulé "DADA ?",

que voici :

DADA ? C'est aujourd'hui une nouvelle passion guerrière, On bataille contre Dada. Comme Dada ne fait de mal à personne, il faut bien juger que seule une bêtise par trop babétique pousse quelques olibrius à hurler contre Dada de terrifiantes menaces de mort. Dada mérite-t-il cette haine féroce et ces appels à l'égorgement ? Verrons-nous une Saint-Barthélemy de dadaïstes ? Ce sont là ques­tions graves, car Dada est beaucoup plus qu'un jeu et une ahurissante fantaisie ; Dada est le " Phénomène futur " … et tuer Dada serait sacrifier la beauté des temps à venir. Il faut le dire d'abord : les extravagances, les excès et les rigolades ; les fumisteries les plus carabinées et la plus patente mystification ne prouvent rien contre l'idée mère d'une conception d'esthétique. Au temps de la bataille d'Hernani, au temps des Fleurs du Mal et de Sagesse, Hugo, Baudelaire et Verlaine ont subi très exactement les mêmes injures que Dada et faisaient, au demeurant, tout le nécessaire pour les justifier. Les fantaisistes "réalisations" de Théophile Gautier étaient même beaucoup plus attentatoires à "l'ordre" que celles de M. Tristan Tzara. Il faut donc admettre que seule vaut l'œuvre et qu'il ne faut point juger autre chose que l'œuvre. L'auteur peut être ce qu'il voudra : fou, bicéphale, notaire, tétrapode, bolcheviste, ramoneur, ou paralytique, onorique ou paranorique [1], I'œuvre est susceptible de donner le branle à votre ménagerie mentale ; si votre sensibilité s'en émeut, si I'œuvre se prolonge et se répercute en vous, l'auteur a du génie. Toute autre conception est absurde. Les principes de l'Armée qui allouent le talent à la seule passe­menterie ne sont heureusement point valables en art. Qu'est Dada ? C'est un groupe qui cherche une formule d'art neuf hors les voies connues. En quels chemins ? Ici, l'étude de Dada est plus abstraite. Voici : Un certain nombre de philosophes, issus de l'école française de Nancy, mais principalement Suisses, se sont aperçus que l'on pouvait concevoir un principe d'intellection autre que l'association logique, L'association mentale libre se fait hors des lois causales. Son incohé­rence n'est pourtant que le masque d'une loi inconnue ? Qu'elle est la loi ? Ici, les psychologues ne sont pas d'accord, Il y a l'école de Freud, qui voit la sexualité : la base de toute l'activité consciente ; il y a ceux qui ont atténué Freud et expliquent par le lien effectif l'apparente absurdité de l'association intellectuelle libre. Il en est d'autres. On cherche toujours. Le problème ainsi posé mène fort loin. Il entraîne à tenter la mesure de l'inconscient et de son action sur le conscient. Il est possible, il est probable que des découvertes sensationnelles surgiront de ces explorations psychologiques. Il n'est pas impossible d'imaginer qu'un jour nous puissions prendre contact avec notre inconscient et modifier ainsi tout l'aspect physique et mental du monde. Qui sait si nous ne voyons pas (inconsciemment) à travers les choses opaques ? Qui sait si des réalités étonnantes ne viendront pas, amenées à la perception consciente, transformer tout l'intellect humain ? On voit donc quelle immense gravité pose le problème des recherches hors la causalité logique. Rien ne prouve que l'ordre introduit par notre esprit dans le chaos des perceptions - ordre que nous estimons naïvement être la réalité elle-même - ne sera point bientôt aussi périmé que les rêveries de panthéisme anthropoïque léguées par les temps homériques. A une psychologie nouvelle correspondra une esthétique renou­velée. Le groupe Dada cherche dans l'extravagance la loi mystérieuse du devenir esthétique prochain. Il est terriblement difficile de se dégager de la raison. Aussi les dadaïstes heurtent-ils surtout l'enten­dement par une paralogie qui n'est, malgré leurs efforts, qu'une logique encore. Cette lutte contre les lois millénaires de l'esprit humain, quelque soit son aspect et ses cabrioles affolées, mérite un respect attentif et soigneux. Il ne s'agit pas de savoir si tel ou tel dadaïsant se livre à de catastrophiques sottises; il ne s'agit que de voir ici un phénomène global, qui comprend des délirants et des inspirés. des gens de génie et des mabouls, mais conglomérés de telle façon qu'il est plus compréhensif de leur supposer à tous du génie, que de les mépriser. Mépriser Dada, qui représente l'ordre futur, c'est se classer soi-même dans le désordre du présent. Reconnaissons qu'en politique, par exemple - et tout se tient - le désordre est assez visible pour donner de la prudence au gens du "vieil ordre". Dada n'est pas une mystification : c'est tout le mystère humain. RENÉE DUNAN.

In Ça Ira !, « Dada, sa naissance, sa vie, sa mort », n° 16, novembre 1921, pages 116-117.

Le nom de Renée Dunan apparaît à nouveau dans Ça Ira !, n° 18, mai 1922, avec un poème intitulé "Convexités" (p. 145) et dans le n° 19, juillet 1922, avec un long articule intitulé "De l'Incompréhensibilité dans les Arts" (pp.180-184).

[1] Sic. Peut-être convient-il de lire "onirique" et paraonirique" ?

Isadora Duncan par Paul Poiret

Un jour qu’elle était venue me demander d’assister à un de ses concerts, elle me trouva très affecté par la perte que je venais de faire de mon meilleur collaborateur, qui était aussi un ami (…), M. Rousseau. Je lui dis que j’étais trop triste pour sortir. Elle insista pour que je vinsse, me donna la grande loge au milieu de la salle pour que je pusse assister au spectacle avec les mais qui avaient connu mon fidèle Rousseau et me dit : « Quand ce sera fini, ne vous en allez pas. Restez dans la salle et je danserai pour lui. » Après les ovations d’usage (elle était acclamée trente fois, car le public électrisé ne parvenait pas à s’arracher au charme d’une idole avec laquelle il venait de communier si étroitement), elle entretenait la flamme de l’enthousiasme en paraissant tantôt avec un bouquet de marguerites, tantôt avec une seule rose, tantôt avec un baiser plein d’expression. Enfin la foule s’écoula. Je restai seul avec mes amis dans le grand amphithéâtre du Trocadéro, où on avait éteint les feux les plus aveuglants. Elle avait demandé au maître Diémer, qui était là, de s’asseoir au grand orgue et d’y jouer, comme il savait le faire, la marche funèbre de Chopin. Mon cœur se gonfle et s’oppresse quand j’évoque ce que j’ai vu ce soir-là. Quelqu’un a dû décrire quelque part Isadora dansant, et expliquer le miracle. Elle sortit de terre comme en naissant, se livra à une mimique échevelée, humaine, pathétique et déchirante, et retomba au néant avec une majesté et une douceur que je ne peux exprimer. Je courus tout en larmes dans ses bras pour lui dire la joie profonde qu’elle m’avait donnée et combien j’étais fier d’avoir offert une messe si solennelle à la mémoire de mon ami. Elle me dit simplement : « C’est la première fois que je danse cette marche funèbre. Je n’avais jamais osé le faire. Je craignais que cela me portât malheur. » Moins de quinze jours après, elle perdait ses deux enfants dans un accident plein d’horreur.

Paul Poiret, En habillant l’époque, Grasset, 1930, pp.189-191.

12 août 2009

"Au petit de Massot qui deviendra grand si ..."

La vente publique de documents dadas et surréalistes (Duchamp, Bellmer, Man Ray, Breton, Kaplan, Soupault) du 22 juin 1999 à Drouot proposait à la vente un « manuscrit autographe » daté d’octobre 1922 et attribué à Jean Crotti :

Après examen, il apparaît qu’au moins une des deux pages, celle reproduite dans le catalogue, n’est pas de la main de Jean Crotti mais bien de Pierre de Massot. De nombreux éléments du document viennent étayer cette petite découverte : l’écriture, après comparaison avec celle de Crotti et d’autres manuscrits de la main de Massot, les annotations [« Gosses et Gousses (titre d’article) / C’est l’hymen à Célimène… »], dont la "légèreté" se retrouve notamment dans les manuscrits de P. de Massot proposés lors de la grande vente André Breton, enfin, un dessin

qu’on peut aisément attribuer à de Massot de par ses évidentes similitudes avec celui qu’il fit à la même époque, le 8 juin 1922, pour accompagner l’envoi de son livre Essai de Critique Théâtrale « à [son] ami André Dodu ».

Ce sont manifestement les lignes « Tabu Tabu Tabu … » qui sont à l’origine de l’attribution de ce document à Jean Crotti, alors proche de Pierre de Massot.

Ecriture de Jean Crotti sur une photographie envoyée à P. de Massot circa 1921-1922

Reste à trouver une copie de la seconde feuille du document…

10 août 2009

Radiguet anti-Dada

Ecrit en mai 1920, mois où paraissent les « vingt-trois manifestes du mouvement Dada » dans le treizième numéro de Littérature (1ère série), « Dada ou le cabaret du néant » a pour auteur le jeune Raymond Radiguet, qui envoie son article à André Breton et à Jacques Doucet. « Dada ou le cabaret du néant » resta inédit jusqu’en 1956, année où il paraît alors pour la première fois dans la revue Pensée Française (n°1, 15 novembre). Il fut republié en 1993 par Chloé Radiguet et Julien Cendres dans leur édition des œuvres complètes de Radiguet (Stock, pp. 405-406). En évoquant « la pire bohème, celle des Incohérents » et en assimilant Dada au Cabaret du Néant (un établissement qui se situait au 34, boulevard de Clichy et dont les tables, entre autres raffinements, étaient constituées de cercueils), Radiguet exprime clairement, par son rejet de Dada et ses réserves quant à la valeur littéraire de Jacques Vaché dont le « suicide à l’opium» lui paraît « en dire long », une pensée qui ne laisse pas de surprendre, révélant un aspect jusque là méconnu de sa personnalité, bien éloigné de l’aura de scandale dont on le pare encore.

Dada ou le cabaret du néant

"Je déteste la bohème, les farces me sont pénibles, et, pour ces deux raisons, le récit de la vie d'Alfred Jarry ne me transporterait pas d'aise. En ressuscitant la mystification, Dada se rapproche de la pire bohème, celle des Incohérents. Dada est un cul-de-sac auquel mène le chemin Oscar Wilde-André Gide (la besogne démoralisatrice de Wilde et, beaucoup plus près, le Lafcadio d'André Gide). Les Dadaïstes chérissent secrètement le para­doxe. En société ils appellent cela : « le droit de se contredire ». Si les Arts n'étaient pas forcément inoffensifs, de tous les dangers publics l'œuvre de Francis Picabia serait le pire. « Il a le diable au corps », cette locution s'applique admirablement à Picabia, qui, né destructeur, imagina de ridiculiser l'art en faisant de pseudo œuvres d'art. Dada est une étiquette. Que contient le flacon ? Une boisson inof­fensive que les Dadaïstes essaient de nous faire prendre pour un poi­son mortel. Chez certains êtres faibles cette illusion suffit à procurer l'ivresse. Jacques Vaché est un jeune homme mort en 1918. Les Dadaïstes le considèrent comme un précurseur. L'opium choisi par lui comme mode de suicide en dit assez long sur ses goûts littéraires. Autour des hommes qui ont en eux une vérité nouvelle, se forment les écoles. Mais Mallarmé n'est pas mallarméen. Et le plus «dada» de tous n'est pas Tristan Tzara. Je sais combien est odieux le jeu des comparaisons. Cependant, devant les excès des Dadaïstes, peut-on s'empêcher de penser au gilet rouge du romantisme ? Hugo, Vigny, Musset, Lamartine, ne sont pas les vrais romantiques. Les vrais, les purs, ce sont tous ceux dont on a oublié le nom. Répondant à un article de Madame Rachilde, paru dans Comœdia, André Breton compare le Dadaïsme au Symbolisme qui eut, lui aussi, à subir bien des attaques. Mais des poètes que les Symbolistes véné­raient comme des maîtres furent justement ceux qui désapprouvèrent le Symbolisme : Mallarmé, Verlaine. N'est-il pas curieux de voir Dada, qui renie le passé, et se flatte de n'être pas une école, se comparer lui­-même au Symbolisme, une des rares écoles dont la France n'ait pas à s'enorgueillir (peut-être parce que de nombreux Symbolistes sont d'origine étrangère).Mais, au fait, André Breton n'a-t-il pas raison, puisque dans quel­ques années les disciples de Tristan Tzara seront aussi démodés que la jeunesse sur qui le grand écrivain Maurice Barrès eut une si déplo­rable influence."

07 août 2009

"Moi, Pierre de Massot..."

Il aima les jambes de Mistinguett et le dos de Parisys, il échangea de nombreuses lettres avec André Gide, il fréquenta Erik Satie, aussi pauvre que lui, il admira Max Jacob et conçut une véritable passion amoureuse pour le comédien Edouard de Max, il fuma le « bénarès » en compagnie de Jacques Rigaut et Mireille Havet, il eut un bull-dog (Billy, philosophe à ses heures), il fut dadaïste, communiste et bi-sexuel, il fut proche de Francis Picabia et Marcel Duchamp, il publia des poèmes, édités à quelques exemplaires pour ses amis, il découvrit 391 en lisant un article dans Comœdia, il se fit photographier par Berenice Abbott et Man Ray, il aima le music-hall, Mallarmé et Blaise Cendrars, il fut souvent déprimé, il aima la fête et les excès, il fréquenta la rue Emile-Augier et le Bœuf sur le Toit, il aima Robbie et les « gousses », il connut Hania Routchine et Isadora Duncan, Clément Pansaers et toute la bande des dadas parisiens. En novembre 1921, il regretta avec amertume la fin de Dada qu’il évoqua comme un lointain passé. A 22 ans, poussé par Picabia, il fut le premier à proposer, en historiographe et témoin privilégié, un panorama du monde artistique et littéraire français des premières années du vingtième siècle. Souvent cité dans les études consacrées à Dada et ses alentours, jamais réédité depuis 1922, il est grand temps de redécouvrir De Mallarmé à 391. Après l’avoir scanné, relu, corrigé, décoquillé, après avoir vérifié la quasi totalité des sources citées par de Massot, je m’attelle à ce qui devrait ressembler à un appareil critique et à une « esquisse d’un portrait à venir » de Pierre de Massot. Quelques documents rares ou inédits seront proposés. « L’influence incontestable de l’américanisme, n’est-ce pas Man Ray, sur la littérature, sur la peinture, sur la musique s’est étendue à nos mœurs et la sécheresse de cœur est un des traits les plus remarquables de la génération qui vient. »

P. de Massot, avant-propos à Essai de Critique Théâtrale, mai 1922.