17 juillet 2005

Juste une mise au point

Picabia présentant son tableau Danse de Saint-Guy (1920, détruit puis réalisé à nouveau sous le titre Tabat-Rat circa 1946-49) au Salon des Indépendants (février 1922)
A la suite de reproches avancés par un journaliste perspicace qui découvrit que Les Yeux chauds de Picabia était composé à partir d’un dessin industriel d’une turbine, Picabia crut bon de réagir rapidement à cette attaque frontale dans les colonnes de Comœdia (23 novembre 1921), dirigé alors par son ami Georges Casella (autre signataire de L’Œil Cacodylate). Après une courte digression 1 orientée sur le rôle du choix de l’artiste dans la création d’une œuvre – argument central chez Duchamp –, Picabia tient un discours plus général et laisse un petit témoignage sur L’Œil, que voici : […] Mes tableaux passent pour des œuvres peu sérieuses, parce qu'ils sont faits sans l'arrière-pensée de la spéculation et parce que j'y travaille en m'amusant comme on fait du sport. Voyez-vous, l'ennui est la pire des maladies et mon grand désespoir serait justement d'être pris au sérieux, de devenir un grand homme, un maître, un homme d'esprit que l'on invite à causer de ses décorations, de ses relations et parce qu'il fait bien dans les dîners, où les gens qui mangent beaucoup sont des gens qui n'ont rien dans le ventre ! Vous voyez ce que je veux dire, l'artiste-ministre, l'artiste-député ! Or, moi, je l'ai écrit bien souvent, je ne suis rien, je suis Francis Picabia ; Francis Picabia qui a signé l'œil cacodylate, en compagnie de beaucoup d'autres personnes qui ont même poussé l'amabilité jusqu'à inscrire une pensée sur la toile ! Cette toile a été terminée, lorsqu'il n'y a plus eu de place dessus et je trouve ce tableau très beau et très agréable à voir et d'une jolie harmonie, c'est peut-être que tous mes amis sont un peu des artistes ! On m'a dit que j'allais me compromettre et compromettre mes amis, on m'a dit aussi que ce n'était pas un tableau. J'estime qu'il n'y a rien de compromettant si, peut-être, ne pas se compromettre ; et je pense qu'un éventail couvert d'autographes ne devient pas un samovar ! C'est pourquoi mon tableau, qui est encadré, fait pour être accroché au mur et regardé, ne peut être autre chose qu'un tableau. […] 1 […] Le peintre fait un choix, puis imite son choix dont la déformation constitue l’Art ; le choix, pourquoi ne le signe-t-il pas tout simplement, au lieu de faire le singe devant ? Il y a bien assez de tableaux accumulés et la signature approbatives d’artistes, uniquement approbateurs, donnerait une nouvelle valeur aux œuvres d’art destinées au mercantilisme moderne. […]