12 juillet 2005

Allons-y doucement, soyons précis

Réveillon Cacodylate chez Marthe Chenal, 1921 © Bibl. Litt. Jacques Doucet
Emprunté au Gaya (et non au Bœuf sur le Toit, qui n’ouvrit officiellement ses portes que le 10 janvier 1922) pour rejoindre, le temps d’un réveillon de fin d’année, les murs policés de l’appartement de Marthe Chenal (« Ecrire quelque chose, c’est bien : / Se taire, c’est mieux »), L’Œil Cacodylate reçut une seconde fois les signatures du cercle de Picabia. Pour l’heure, il m’est difficile d’avancer quelles sont les personnes qui signèrent la toile ce soir de réveillon. On peut cependant remarquer qu’à deux ou trois exceptions près (que je signalerai ultérieurement), les signatures féminines apparaissent en vert émeraude sur la toile tandis que les paraphes masculins apparaissent en noir. Sans doute à cause d’un verre renversé au cours d’une bousculade ou à la suite d’un mauvais geste (les plus imaginatifs d’entre nous feront surgir les rires des convives), la toile fut baptisée, à partir de son deuxième tiers vertical et sur presque toute sa hauteur, d’un liquide à coup sûr alcoolisé. Avec le temps, les signatures et les commentaires de Roland Dorgelès et de Marcel Duchamp ont quasiment disparu. Fort heureusement, un cliché en noir et blanc de Man Ray (autre signature devenue presque illisible) permet de lire la phrase, pour le moins rétive (ou anti-dada, et donc dada ?), de Dorgelès : « Non, je n’en reste pas baba / Et je jure chez Picabia / Que je n’aime pas Dada ». Quant à la phrase de Duchamp 1, parfois mal citée, elle se résume à un jeu de mots qui introduit la deuxième orthographe de son alter ego : « en 6 qu’habilla rrose Sélavy ». Calembour circonstanciel ou relatant, pour les happy few, l’arrosage de la toile ? Petite question : pour quelle raison Raymond Radiguet, tout au fond à droite de la photographie, n'a-t-il pas signé ? To be continued. 1 – Une plaquette hors commerce (Francis Picabia 1879.1954) publiée en avril 1955 par la revue Orbes proposa une reproduction contrecollée – sans doute issue du cliché de Man Ray – de l’intervention de Duchamp. Par ailleurs, sur une affichette de 1964, contemporaine de l’exposition (et du catalogue éponyme, déjà cités) « Francis Picabia, Chapeau de Paille ? 1921 », on pouvait lire, imprimé en bleu sous la reproduction en noir et blanc du Chapeau de Paille ? : « … et roses pour Fr’en 6 π [lire ici la lettre grecque "pi" ] qu’habillarrose Sélavy ». Enfin, dans une lettre postée de New York, datée du 20 janvier 1921, l'inventeur du ready-made s'adressa au Rastaquouère en ces termes : « Mâcheur Fran [cfort sau] cisse Pis qu [e quand elle s’] habilla ».